L’œuvre produite est une peinture déconstruite, dépeinte. Ce processus de décomposition traduit à la fois l’expression du temps et de l’espace. Bien que ses peintures présentent une structure évoquant un allover, la construction – déconstruction de la couche picturale ne doit rien au hasard et, au contraire de la distance introduite par le geste aléatoire d’un Pollock, sa peinture est le contraire de la négation de l’intervention manuelle – au sens propre. Elle choisit une autre direction que celle du allover décrit par Greenberg qui agit comme une négation du périmètre et qui exploite visuellement l’uniformité. La construction gestuelle et sensuelle occupe une place centrale dans sa production et traduit l’ambition et les limites d’un corps s’exprimant à travers une écriture nerveuse et rythmée. Dans sa peinture, tandis que le geste devenu langage exprime autant les limites que la liberté et la puissance du corps et de l’esprit, les couleurs et la sensualité de sa gestuelle impliquent un univers fondamentalement humain.
Les peintures de Judy Millar enrichissent le mode et le champ de perception du spectateur, et l’accompagnent dans la prise de conscience des différents accès et interactions possibles avec la peinture, par la composition, la couleur ou l’espace interne et externe. Son travail interroge radicalement la relation traditionnelle qui existe entre l’objet d’art et le spectateur ainsi que le mode de perception en particulier dans le contexte de l’espace d’exposition. En présentant plus récemment sa peinture sous la forme d’installations, Judy Millar dépasse la question du tableau (le plan, la surface…) en dissolvant son périmètre restreint et en renouvelant son rapport à l’espace. En décrochant la peinture du mur pour l’installer au sol, elle en décuple la force. Millar enrichit l’histoire de la peinture en s’en imprégnant et en la dépassant. Elle s’affranchit du format, de la dimension, de la planéité. Ses peintures deviennent des supports souples dialoguant et participant par leur forme, leur composition et leur mode de présentation, par complémentarité ou sympathie, avec l’harmonie du lieu (Hamish Morrison Galerie 2006, 2010), (Pavillon de la Nouvelle-Zélande, Biennale de Venise 2009).
Malgré son inscription parfaite dans notre époque, la force relevant quasiment de la transcendance du travail de Millar évoque une spiritualité qui possède de nombreuses affinités avec l’esthétique baroque. Sa peinture prend le contrôle des sens du spectateur et agit sur ses facultés de perception. Il accède par les sens – la vue, la couleur, la perception des corps dans l’espace et le temps – à une perception démultipliée et amplifiée. Il prend conscience de son moi comme un point dans l’espace qui se meut en lévitation entre toutes ces dimensions physiques, temporelles et spirituelles. Son travail évoque l’esthétique baroque en ce qu’il s’agissait tant dans les églises que dans les palais d’un Art Total sous l’égide duquel s’unissaient la peinture, la sculpture, mais aussi la musique et le texte. Sa peinture exprime cependant une catharsis plus seulement morale mais esthétique, permettant à son tour d’élever l’âme en transcendant le corps et les sens au service, à l’instar de « L’extase de Sainte-Thérèse » du Bernin, de cette quête d’absolu.
Judy Millar, figure majeure de l’art contemporain néo-zélandais, réside entre Auckland (NZ) et Berlin (D). Titulaire en 2002 du Wallace Art Award, elle représentera en 2009 la Nouvelle Zélande à la Biennale de Venise.