Une première visite de la 246eme Royal Academy of Arts Summer Exhibition qui se tient a Londres cet été a tout d’abord de quoi surprendre le visiteur non averti. 1262 oeuvres sont accrochées sur les cimaises d’une quinzaine de salles, a touche-touche comme au XVIIIe siècle sans considération apparente ni tentative d’organisation. Diderot aurait probablement bien plus de difficultés a écrire la chronique de ce salon qu’il n’en eut a composer sa Promenade Vernet puisque le passage d’une oeuvre a l’autre relève ici peut etre plus des vertiges ressentis sur les montagnes russes du Blackpool Pleasure Beach, la nausée en moins.
Le principe de cette exposition bicentenaire est simple : tout individu, artiste consacré ou non, quel que soit son medium, est autorisé a envoyer deux oeuvres[1]a un comité de sélection. Cette année selon l’une des participantes, quelques 12000 oeuvres ont été proposées. Si 1262 numéros composent cette exposition monumentale, ce ne sont pas autant d’artistes qui sont exposés puisque les candidats lambdas en exposent parfois deux. Les académiciens tels que Norman Forster alias « Lord Forster of Thames Banks » OM RA[2], est invité à participer lui aussi à cette exposition ainsi que ses comparses académiciens émérites honoraires ou non, tels que Tim Shaw, Georg Baselitz ou encore Dame Zaha Hadid qui exposent parfois jusqu’à 6 œuvres. Etiquette et préséance obligeant, la liste des exposants figurant a la fin du livret d’accompagnement à la visite distingue par ailleurs deux types d’exposants, les membres de l’Académie Royale en majuscule et les autres… en minuscule.
Le cas de Norman Forster est ici plus explicite car ses œuvres sont présentées au sein d’une section que l’on pourrait qualifier d’architecturale. Le visiteur entre alors dans une seconde phase de contemplation. Et si l’accrochage avait effectivement été pensé ? Des tendances se dégagent alors. Des maquettes, dessins et projets semblent révéler que la salle VI a été dédiée a l’architecture tandis que la salle V – peut être la plus intéressante – semble avoir été consacré au volume. Une autre salle se dégage sans difficulté, la IX, rassemblant exclusivement des académiciens tels que Tim Shaw, Rebecca Warren ou encore Wolfgang Tillmans.
Mais alors quid des œuvres ? Qu’y voit-on ? Peut-on y découvrir des choses ? L’accrochage si dense et varié rejette toute autonomie visuelle et esthétique des œuvres, que le spectateur est obligé d’envisager en groupe. Émulation ou perturbation visuelle, il n’a pas le choix. Il faut donc parvenir à les envisager dans leur ensemble et ce, malgré une tentative supposée d’assortiment dont la méthode reste imperceptible, même après une longue visite. Au bout de quelques minutes, l’exercice d’extraction mentale des œuvres pour en tenter une sorte d’isolement visuel et en apprécier le contenu – on ne parlera même plus de plaisir, est trop épuisant. Le spectateur renonce et se résout à déambuler sans chemin logique parmi ce capharnaüm dédié à l’Art.
L’œuvre n’est pas accrochée sur un mur individuel et blanc de façon à rendre autonome son propos conceptuel, ses qualités formelles, son répertoire référentiel ou encore ses propriétés plastiques, dans une sorte d’isoloire à la façon d’un white cube. Nous sommes ici chez l’amateur compulsif du XVIII-XIXe siecle qui accumule des œuvres hétéroclites, sélectionnées et collectionnées. Mais ce collectionneur fou, la plupart du temps, construit une histoire. Si celle-ci n’est pas scientifique, historique ou stylistique, elle est au moins l’expression de son propre goût, ce que cette summer exhibition ne prétend pas constituer. Si cet accrochage, dans une époque passionnée par le classement et l’inventaire, dérange par ce caractère si désuet, c’est qu’il est curieux de l’imaginer dans une institution – tout du moins qui ne serait pas consacrée aux études ethnologiques.
Perdu et perplexe dans l’incongruité de cette présentation, le spectateur se ballade et n’a ni le temps, ni l’énergie nécessaire à consacrer à chacune de ces 1262 œuvres. Une fois considérée la variété générale typologique et qualitative, ce spectateur qui se croit éduqué et plein de bonnes intentions se résigne a renoncer à ce dialogue intime et individuel que sa bonne volonté le convainc habituellement de livrer avec chacune des œuvres. Il devient alors cette sauterelle qui désole les muséographes. Le spectateur commence un exercice auquel il est assez peu habitué et qui constitue peut etre la partie la plus rafraîchissante de la visite. En faisant face à des œuvres aussi diverses et proches physiquement, l’œil s’autorise la pire des subjectivités : Ne s’arrêter que sur les œuvres qui captent son attention. C’est en ce point précis que la visite devient vraiment personnelle. L’œil peut s’arrêter sur ce qu’il reconnaît – tiens, un Anselm Kiefer ! – sur ce qu’il croit reconnaître – Que vient faire ici un Max Beckman ? Ah non, un suiveur pas très inspiré.
On se recentre alors sur l’essentiel ou le particulier. Je cherche une peinture pour mon salon – Et celle là ? trop colorée… trop laide… Le commissaire d’exposition peut aussi y faire son marché. Il jouera alors à la roulette russe. Qu’est-ce que cette œuvre ? Le catalogue nous livre un nom, souvent un prix, jamais un contexte. On regardera sur internet, mais on sort de l’exposition avec tant de questions.
Le croisé intransigeant de l’art contemporain conceptuel et aride sortira de cette visite passablement affligé tant la sélection des œuvres semble la plupart du temps avoir privilégié le point de croix sur les réels enjeux de l’Art. L’amateur mieux disposé aura eu le sentiment d’avoir joué à un jeu de société grandeur nature dont le principe consiste à discerner le bon grain de l’ivraie, l’œuvre contemporaine et de demain de l’éternelle resucée cubo-fauviste.
Au moment cependant d’adresser un ultime reproche à une pareille entreprise, il suffira de regarder le pendant français de cette Royale Academy, “l’Académie des Beaux-Arts” pour se résoudre tout de même à admirer le modèle anglais et peut être meme déceler dans cet exercice démocratique une certain jeu pour ne pas parler d’humour.