DIABOLUS IN MUSICA

L’exposition « Diabolus in Musica » de la Galerie Thaddaeus Ropac à Pantin est la première exposition monographique dans une galerie pour Oliver Beer après la performance qu’il a réalisé en octobre 2013 intitulée « Composition for Hearing an Architectural Space ». Synthèse entre les différentes formes d’expression auxquelles il recourt, la performance, la sculpture, la vidéo et l’installation, « Diabolus in Musica » témoigne de la façon dont les œuvres du jeune artiste britannique explorent la faculté de l’homme à charger d’une force émotionnelle, poétique ou simplement narrative des objets et des phénomènes parfois anodins, par la puissance de l’imagination.
Rail to Nowhere
Cette tendance humaine est en partie incarnée dans une installation architecturale acoustique reposant sur un célèbre accord mythique portant en musique le nom de « Triton ». Cet intervalle de trois tons, correspondant à une quinte diminuée, a appartenu à l’écriture musicale du haut Moyen Âge avant d’en être exclu par les autorités religieuses. Le son produit par une quinte diminuée ou une quarte augmentée est perçu par l’oreille comme un son désagréable provoquant un sentiment d’inaccomplissement et de malaise lui ayant valu le surnom de « Diabolus in Musica ». L’inconscient collectif populaire a eu progressivement tendance à considérer que ce phénomène sonore pouvait convoquer le diable. L’oreille du XXIeme siècle a tendance à s’être progressivement éduquée aux sons qui ne relèvent pas seulement de l’équilibre harmonique, de ce sentiment subjectif que l’on appellera le « beau » et qui se veut appartenir à un concept pseudo-universel que Pythagore en son temps expliqua par les nombres. Ces derniers permettent de calculer les notes de musique et ainsi cet équilibre peut s’expliquer mathématiquement. L’équilibre se fait donc ici balance entre le beau et le laid, l’harmonique et le disharmonique, le concordant et le discordant. Cet intervalle a été depuis largement exploité par des courants musicaux en rupture avec l’équilibre classique sonore. Le jazz et le heavy metal notamment ont construit nombre de lignes « mélodiques » sur cette association de notes déséquilibrées faisant ainsi reposer l’expérience musicale de l’auditeur sur ce sentiment de décalage et d’inaccompli, affrontant non pas l’universel mais le singulier par l’expérience du son. C’est exactement cette expérience à laquelle nous convie l’installation d’Oliver Beer à travers un dispositif englobant le spectateur.
« Diabolus in Musica » Oliver Beer Courtesy Galerie T. Ropac, Paris/Salzbourg
Les œuvres filmées d’Oliver Beer ainsi que ses sculptures et ses installations, traduisent dans un vocabulaire plastique troublant ses recherches sur les outils traditionnels d’identification de ce que l’on cherche souvent à définir comme étant le réel. Reanimation I (Snow White) convoque à sa façon l’imagination collective en puisant dans le répertoire universel des contes populaires et de l’univers Disney en particulier. Pour cette vidéo largement participative, pour reprendre une expression actuelle, l’artiste a invité 500 enfants à interpréter les images du dessin animé qu’il a ensuite réuni sous le format du film 16mm. Sans recevoir de consigne d’interprétation, chaque enfant était invité à s’approprier cet espace créatif. Remonté, le film devient le patchwork de centaines de narration personnelles enrichi de la puissance de chaque individualité. Tandis que l’héroïne devient tour à tour femme au foyer, fée, abeille, sorcière ou zombie, des insectes et des motifs décoratifs – des drapeaux patriotiques même – viennent de façon subliminale enrichir le conte, patrimoine collectif s’il en est, pour retranscrire les états d’âme, préoccupations et émotions cumulés de cette génération nouvelle. La bande son de l’œuvre de Beer vient ajouter à cette universalité en fusionnant les enregistrements de plusieurs langages et époques. La construction du film, court et en boucle, commence sur une surprenante succession de couleurs presque kaléidoscopiques et abstraites qui donnent corps progressivement à un sujet figuratif. C’est précisément en jouant sur la question de la présence et de l’absence et en interrogeant les propriétés physiques d’objets quotidiens, qu’Oliver Beer met en doute l’objectivité de la perception.
« Snow White, Reanimation I » Oliver Beer, Courtesy Galerie T. Ropac, Paris/Salzbourg
Ces objets – une pipe ou une arme intégrés dans le mur et privés de leur tridimensionnalité pour devenir une esquisse – à la fois mystérieux et ordinaires, semblent paradoxalement posséder une valeur biographique expliquée en partie par la propension de l’esprit humain à investir des objets inanimés et à enrichir par l’imagination leur « être-au-monde » selon l’expression de Heidegger. Les rails par exemple, déjà récurrents dans son travail, portent l’usure du passage quotidien de millions d’âmes dont la biographie individuelle marquent de façon anonyme le métal et s’enfoncent progressivement dans le sol comme pour évoquer une poétique descente vers les limbes. Le rapport particulier avec le mur ou le sol de ces œuvres démultiplie leur potentiel narratif, ce que vient mettre en abyme le pouvoir magique de deux notes capables d’invoquer le Malin…
Texte rédigé pour le catalogue « Oliver Beer », co-édité par le Musée d’art contemporain de Lyon et la Galerie Thaddaeus Ropac.
« Diabolus in Musica » Oliver Beer,Courtesy Galerie T. Ropac, Paris/Salzbourg
Oliver Beer’s exhibition « DIABOLUS IN MUSICA » explors people’s ability to imbue objects and phenomena with an emotional, poetic or simply narrative charge, through the power of the imagination. This human tendency will be given partial form in an architectural acoustic installation that we can enter based on a famous mythical chord, which in musical theory is called the tritone. It is an interval of three whole tones and corresponds to a diminished fifth. It was used in musical writing in the late mediaeval period but then banned by religious leaders. The sound produced by a diminished fifth or an augmented fourth is perceived by the ear as an unpleasant sound that provokes a sense of incompleteness and unease that earned it the sobriquet ‘Diabolus in Musica’. The popular collective unconscious gradually developed a tendency to think that the sound might conjure up the devil.
The interval has since been widely used in musical genres that have broken with classical tone relationships. In both jazz and Heavy Metal, for example, a number of melody lines are constructed around this association of unbalanced notes. The resulting musical experience for the listener is based on that sense of something incomplete and out of kilter, which challenges not the universal but something unusual in the sound experience. It is precisely this experience that Oliver Beer’s installation offers us, with a structure that totally envelops the spectator.The exhibition is also presenting Reanimation I (Snow White), which was recently (spring 2014) previewed as part of the Prospectif Cinema programme at the Centre Pompidou. It is a film which, along with several sculptures and installations, translates into disturbing artistic language Beer’s investigation of the tools traditionally used for identifying what people often seek to define as real. By playing around with the notions of presence and absence and interrogating the physical properties of everyday objects, Oliver Beer throws doubt on the objectivity of perception. The objects – a pipe, a firearm, railway lines –, which are ordinary and yet mysterious, seem to be possessed of a biographical dimension, partly explicable through the propensity of the human mind to invest inanimate objects and to enrich what Heidegger termed their ‘being-in-the-world’ through the imagination. The particular way in which they are related to the wall or the floor, which they gradually merge into, brings added richness to the potential narrative, all of which contributes to an eventual infinite regress of the magic power of those two notes capable of summoning up the Prince of Darkness. This exhibition, which marks the beginning of the new season, comes in a year that has been particularly full for this young British artist (b. UK, 1985), whose work is devoted to forms of perception, particularly in relation to acoustic phenomena. During 2014, Oliver Beer worked with the Palais de Tokyo in their Hors-les-Murs cycle at the MoMA PS1, with the Villa Arson in Nice, and also with the Musée d’art contemporain in Lyon for the exhibition Rabbit Hole, which continues until 17 August 2014.

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