Le dessin technique sur papier millimétré que Yassine Boussaadoun pratiquait dans sa formation d’ingénieur lui a donné le goût de tout mettre à plat afin de comprendre et de reconstituer lui même le monde, de le mesurer tout en lui donnant une empreinte personnelle. Une fois bien compris dans ses formes il aime en pointer les paradoxes comme dans sa Lampe à huile réalisée avec la technique du paperkraft. Boussaadoun allie le papier et le feu, les paradoxes de la fonction et de la forme, du matériau et de l’usage, et semble demander quel degré de technicité serait requit pour permettre à un objet d’entrer dans sacrosaint club des normes de sécurité.
Il s’agit bien sûr du paradoxe, de l’exemplarité industrielle – l’échantillon – et de l’impossible perfection, le facteur aléatoire, l’impossibilité de la sérialisation parfaite, les paradoxes de la non fonctionnalité. Il joue alors avec la logique de l’ingénieur et l’illusion de la maîtrise du monde, cette prétention de pouvoir reproduire n’importe quel objet dans n’importe quel type de matériaux, jouant de plus avec cette idée de la reproductibilité de l’objet industriel et le choix conscient de n’en sélectionner qu’un seul.
Standard n’est pas vraiment une peinture murale non plus qu’une sculpture, mais un ensemble de tuyaux non fonctionnels et, pourtant, une œuvre d’art. Hommage assumé en noir et blanc au constructivisme et à Mondrian, cette sculpture n’existerait pas sans les nombreux dessins techniques qu’il a réalisés avec minutie. Mais les œuvres d’Yassine Boussaadoun ne se laissent pas résumer à des problématiques formelles. Standard est la métaphore froide et cruelle d’une normalisation de la société labyrinthique. Les individus deviennent des matricules et les enjeux de la planète sont traités telles des équations, tandis que les rapports humains deviennent – en particulier à travers leur sublimation électronique – un langage binaire.
Boussaadoun cite volontiers les assemblages de Jimmie Durham et les questions sociétales qu’ils provoquent parmi les démarches qui le stimulent. Le détournement du réel est un fil conducteur des objets comme de ses performances. S’il fait une distinction nette entre ces dernières et son travail de sculpteur sa problématique réside fondamentalement dans la tension qu’il crée entre tous ces langages plastiques. Tandis que les objets sont une mise en tension du réel a travers la reproductibilité et la tentative de produire et de reproduire le monde, de se moquer en somme de l’utopie de la maîtrise de la matière, ses performances quant à elles explorent le potentiel du corps comme medium expressif « La performance n’est pas une représentation, elle est œuvre » dit-il, mais aussi – avec le chanteur parodique Jean Baque par exemple, ses limites.
C’est que l’œuvre de Yassine Boussaadoun est beaucoup moins naïve que les formes simples de ses sculptures ne le laissent penser. Les tsunamis politiques, les catastrophes écologiques, la manipulation des masses par les médias et la fragilité de la liberté d’expression comptent parmi les thématiques présentes dans son œuvre. Dans la série des « Dictateurs dans le métro », réalisée en 2013, réaction immédiate à la façon dont la presse relate les événements du printemps arabe, le cadre en papier modélisé vient jouer avec les faux semblants d’une moulure bourgeoise mettant en doute – s’il en était besoin – la véracité d’une photographie de Staline en ballade dans le métro parisien.
Version longue du texte publié dans le catalogue du salon de Montrouge