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L’œuvre de Mario D’Souza peut rappeler un jardin sauvage et exotique, délicat et riche de couleurs et de senteurs. Quand il projette dans l’espace des pailles en plastique, des rubans, du tissu moiré ou encore de l’encre ce vocabulaire organique rappelle presque la façon dont l’orchidée projette ses racines dans le vide avec un l’angle qui témoigne autant d’une recherche aveugle d’un point de chute, que du contre-balancement d’un équilibre qu’elle finit par atteindre sous son propre équilibre. Cette métaphore pourrait symboliser l’artiste lui-même, équilibriste entre les cultures et les époques. Ces emprunts pourraient sembler joindre l’injoignable et c’est pourtant grâce à la grande subtilité de son expérience personnelle et de sa perception du monde qu’il réussit l’exploit d’engendrer une œuvre à la fois légère et englobante. Il ne produit pas un syncrétisme qui joindrait superficiellement des reliquats un peu superficiels, des arts et des arts décoratifs indiens et français. En croisant ces cultures, il joue d’une ambiguïté qu’il maitrise car son regard double s’exprime dans son œuvre à la fois avec curiosité et malice. Il parvient à traduire avec justesse la séduction de l’ailleurs et le goût de l’exploration qui l’émerveillent. En jouant de et avec certains codes de l’orientalisme, Mario D’Souza s’approprie l’histoire. Il subsume les qualités et les problématiques liées à la tentative d’approche et de traduction de cultures non familières et réussit l’exploit en créant un équilibre narratif. Etre chez soi ailleurs ou ailleurs chez soi puis engendrer un environnement familier semble être le défi que s’est attribué l’artiste, pour atteindre par ailleurs son propre équilibre. Ce travail est aussi une quête de soi et un cadeau à l’autre tout en constituant une stratégie de l’appropriation qui pourrait être rapprochée de l’hybridité culturelle développée dans le Manifeste anthropophage d’Oswald de Andrade.
La chaise trop haute et impraticable crée une distanciation entre sa fonction et son apparence. A travers ses compositions, il amène son spectateur à s’interroger sur le réel, et le sens de la fonction et partant, de sa propre réalité ou place dans le monde, à la fois d’un point de vue historique que symbolique et sémantique. Le design joue parfois de ce paradoxe en permettant à la forme d’un objet de défier sa fonction. La rencontre entre l’art et l’objet est une occasion pour D’Souza de jouer avec le souvenir et le quotidien, et de permettre à son vocabulaire constitué avec patience et curiosité de faire irruption dans la réalité du spectateur, et de le forcer à repenser à la fois son environnement au niveau de l’espace, de la fonction et du vocabulaire plastique. L’art de la disposition qui caractérise son œuvre pourrait rappeler la tradition japonaise florale de l’Ikebana, qui consiste à construire une composition équilibrée qui envisage à la fois la fleur, la tige et le vase comme trois composantes principales symbolisant le ciel, la terre et l’humanité et qui s’expriment à travers l’asymétrie, l’espace et la profondeur. Cette philosophie de l’équilibre trouve un écho inconscient dans la façon dont Mario D’Souza s’appuie sur le poids de l’objet ou de l’eau dans sa peinture pour construire sa composition, et les dispositifs aussi naturels que savants de la répartition des formes dans l’espace, initiant de puissants arrangements qui intriguent, séduisent et enchantent le spectateur, qui plongé dans ces installations a la fois complexes et transhistorique et transculturel, l’oblige à s’interroger sur son propre rapport au temps et à l’espace. Mario D’Souza est un jardinier de la composition, du temps et de l’Histoire, c’est précisément dans cet équilibre que repose sa contemporanéité.
Texte produit à l’occasion de l’exposition : MARIO D’SOUZA SENSE OF POWER. SLOWMADE CREATIONS, 2018 CARTE BLANCHE Chapelle Saint-Louis des Gobelins, Cours des Gobelins