Une musique étrange couvre une voix off tandis que les soubresauts d’une image hésitante vibre des chaos d’une route désertique. Une voix rappelle la fragilité des civilisations brillantes qui n’ont pu défier le temps. Ce paysage apocalyptique annonce la disparition du monde tel que nous le connaissons et cet homme tente de sauvegarder les savoirs de l’humanité en construisant une structure souterraine destinée à abriter une bibliothèque.
A l’heure du tout numérique, et de cette confiance aveugle dans la sauvegarde de notre patrimoine et de notre mémoire dans les données informatiques, dont la conservation est aujourd’hui moins assurée encore que la pierre, ou même le papier, le film de Jacques Lœuille interroge sur les fondamentaux de la préservation de ce que nous sommes.
Dans son roman d’anticipation La machine à explorer le temps, H.G. Wells imaginait que les humains survivants à un cataclysme étaient devenus incapables de comprendre ni même de respecter un tel héritage qu’ils laissaient tomber en poussière. An Optimist in Andalusia démontre, conjugué au futur antérieur d’une telle vision dystopique, le parcours et la solitude d’un homme dans son combat pour la sauvegarde de l’héritage culturel humain. Un mouvement musical lancinant d’Arvo Pärt vient ponctuer le film et régulièrement couvrir la voix des personnages interviewés, dénaturant la forme purement documentaire du film, accentuant l’étrangeté des propos.
Jacques Lœuille, selon un procédé que l’on retrouve dans certaines de ses œuvres, dépasse la forme documentaire, qui sert ici de prétexte à une mise en scène de l’angoisse.
C’est avec cette même ambiguïté qui célèbre à travers ces Don Quichotte modernes et singuliers, la conscience de soi au sein d’une aventure humaine aussi digne que fragile, que le jeune réalisateur affirme un style puissant et profond construit sur une atmosphère stimulante d’étrangeté.
Texte publié dans le catalogue du 62eme Salon de Montrouge